Nouvelles: Areski Semrouni / Photographie: Ramzi Bensaadi

Nostalgie

J’avais jamais pensé à traduire ce mot en arabe, et pourtant dieu sait combien ce va et vient entre l’arabe et les autres langues que je parle, que je comprends est devenu est une seconde nature.

Mais voilà que ce mot m’invite à cet exercice, je juxtapose, un peu par nervosité, en vitesse, les deux mots: nostalgie et haninne , nostalgie et chawk tout en restant persuadé que je pourrais me faire rattraper par le jeu des nuances et autres contextes étymologiques autant en arabe, qu’en français, ou en anglais voir même en néerlandais peut être bientôt …

Un soir, à la fin d’un film que j’avais attrapé au vol en milieu de soirée sur ARTE, il y eut ce générique, cette voix de Marcel Khalife chantant Mahmoud Derwich… Hanini li khobzi oumi… Et là, l’effet d’une bombe, une sourde explosion en moi, je me rue sur les rangées de CD jamais classés, il faudra encore que j’y pense à mettre de l’ordre dans toutes ces piles, encore une petite ligne sur ma todolist qui fait déjà quelques mètres, ah le temps, le temps, le temps à trouver, le temps à dompter…

Mon regard ne se calma qu’en mettant la main sur cette vieille copie pirate achetée une petite poignée de dinars à Beyrouth il y a un siècle, je fixe la chaîne HI-FI qui avale le précieux sésame puis plus rien… les premières notes de musique, les premiers vers, les premiers vertiges, les premières larmes.

On avait pourtant, pensais-je naïvement, déjà signé cet accord, après d’infinies tergiversations tripartite: cœur, tête, et corps, accord pour ne plus se laisser avoir par le passé, la nostalgie de ce qui était est n’est plus, la vie, c’est le présent mais c’est surtout le futur, pourquoi se mettre alors dans tous ces états pour une stupide chanson de générique

Pourquoi tout ça alors que j’entends le bruit des pelleteuses, des foreuses, les bruits de cet immense chantier que j’ai entamé voilà quelques années, chantier de construction de moi, que les choses prennent leur places propres, qu’on accepte de se laver d’hier, de s’habituer à ses nouvelles chaussures, nouveau ciel, nouveau goût de pain, caresse d’un genre nouveau sur son corps, caresse du vent frais et sec de la mer du nord.

Comment une simple chanson anéantirait ce chantier et m’obligerait à repenser les plans, l’architecture, l’essence de l’être nouveau que je veux être, que je suis en train de devenir

 

De Bab-El-Oued à la Grand place de Bruxelles

Quelques lettres, quelques formulaires, quelques masques, quelques chansons, des ruses avec le système “œil du cyclope” don’t forget Big Brother is always watching you, un Visa, vive le boulot, un billet d’avion, quelques miles, de l’altitudes, nous voilà au Cœur de l’Europe, dans cette ville mélange, dans cette ville tranquille, cette ville sans guerre, cette ville curieuse, ville de regards extrêmement doux et froids à la fois, tantôt ça fonctionne à l’économie des mots, tantôt aux sourires partageurs, aux sourires en forme de grande invite, grande accolade où on serre l’univers de l’autre dans ses bras, pas trop tout de même, on réalise tout de suite que la mer du nord et son vent ne sont jamais loin.

Et quand on se perd dans les dédales des rues pâvetées à la rencontre de l’autre, à la rencontre de soi…. Errance, anonymat des poignets de mains et des formules de politesse, anonymat voulu, anonymat rêvé, appréhendé et voilà que le funambule qui est en moi se noie dans la méditerranée, ou plutôt se réfugie dans le bleu d’une autre rive, d’une autre vie.

La méditerranée, à mi distance entre deux vies, l’une passée et l’une à venir.

Entre ce pays où sans trop de douleurs on tient l’autre, tous les autres, même ceux qui nous sont chers, à distance, par pudeur, par égoïsme, par amour, réflexe vite appris et intégré, puisque l’autre fait de même.

Et de l’autre côté, l’autre rive, l’autre pays, le mien, où depuis l’aube et jusqu’à la nuit noire, on se réunit pour tout faire ensemble, respirer ensemble, manger ensemble, pleurer et crier ensemble, où on est heureux ou malheureux mais toujours ensemble, agglutinés les uns sur les autres, peau contre peau, mais pas pensées contre pensée.. tout cela dans une espèce de vitre ouverte en permanence, par maux et par vaux sur l’extérieur, cet extérieur où hélas on ne sait pas, où on ne peux pas faire usage des mots tel que « je t’aime », « je pense à toi » – c’est normal, ces mots là, c’est du français, c’est à la télé seulement qu’on voit ça, chez les autres, les roumis, et les roumis, c’est colonial, c’est malsain, c’est même pervers et teinté de souffre, on ne dit pas je t’aime dans la ville arabo-musulmane de Sidi Abderrahmane, Alger, jadis blanche, cascade de collines et bras tendus vers la mer, amoureuse en attente, abandonnée par ses amants exilés.

Photo Ramzy Bensaadi, 2013 (CC-BY-NC-ND)

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