Témoignage de Ghania Mouffok, Samia Slimani, Nesrine Dahmoun, Awel Haouati, Nabila Kalache.
(Photographie, Awel Haouati © )
Témoignage de Ghania Mouffok
Aujourd’hui, 20 avril 2019, dans cette terre généreuse de la Mitidja, entre vigne, orangers et pêchers en fleurs, Ramzi Yettou, 23 ans a été enterré.
A peine sa mère a-t-elle eu le temps de lui dire adieu qu’il lui était enlevé dans une cohue douloureuse au bord de la folie.
Sa famille, nombreuse, ses tantes, ses cousines et ses voisines étaient là pour témoigner de combien il était aimé, toutes défaites par cette disparition qui laissera des traces au plus profond de ce qui ne peut être juste. « La mort est celle de Dieu, disent-elles ; mais pourquoi l’ont-ils frappé pour le tuer ? ».
C’est avec une peine réprimée que les garçons, des dizaines et des dizaines, en voisins, en cousins, en amis se sont saisis du défunt dans une rage qui fit trembler le corps de Ramzi, si présent, si pesant. Tous veulent l’emporter dans la promesse que justice lui sera faite sur terre ; dans l’attente de Celle de Dieu. « Mettez le drapeau », se souviennent-ils, sur le martyrisé et “Chahid wadjib el watan, el djazaïri Yettou Ramzi”- a écrit une main de deuil ; Pour le martyr de la patrie, l’Algérien Yettou Ramzi.
C’est en suivant l’emblème national que l’on retrouve son domicile, et le premier drapeau en signe d’accueil porte le portrait du Che imprimé. Le Che assassiné au coeur de la Mitidja. Yettou Ramzi est mort de coups portés dans une violence faite pour tuer par des hommes en uniformes bleus. Quels qu’ils soient, les auteurs de ce crime ne peuvent rester impunis.
Nous étions cinq femmes, ni d’ici, ni d’ailleurs, venues leur dire qu’ils n’étaient pas seuls dans ce deuil aujourd’hui ; comme hier nous n’étions pas seules dans la joie de marcher.
Avons-nous menti quand nous avons dit à ses jeunes cousines, à ses tantes, à sa mère et à ses soeurs qui nous ont accueillies – comme si elles nous attendaient- que : tout « le peuple » le pleurait ?
Qu’il partageait leur digne colère, leur douleur et leur combat pour la vérité sur ce qui s’appelle un assassinat : « ils l’ont frappé, frappé et quand un groupe s’arrêtait, un autre recommençait » ?
Témognage de Ghania Mouffok, Samia Slimani, Nesrine Dahmoun, Awel Haouati, Nabila Kalache.
Témoignage de Awel Haouati
Il faut se tenir aux côtés de ces jeunes au-delà de la marche du vendredi et des échanges qui se font en ce jour spécial. Il faut s’organiser et se tenir collectivement auprès d’eux lorsqu’ils se font arrêter, rafler, ou tabasser jusqu’à la mort.
Aujourd’hui il n’y avait aucun berrani avec les proches, la famille, les voisins de Ramzi Yettou. Nous étions cinq femmes, mais il n’y avait personne d‘autre à part un homme, un cameraman, sûrement le même qui a filmé la famille à l’hôpital.
Pourtant nous ne sommes intégrées dans aucun réseau, aucune ligue, aucun parti, aucun média. Personnellement je suis étudiante, et avec les amies nous avons cherché l’information auprès des copains. Des amis, Amine Kabbes et Zaki Mihoubi nous ont donné l’information très tard hier soir. L’enterrement devait avoir lieu avant la prière du Dohr mais on n’était pas sûrs. On a décidé d’y aller, pas forcément à l’enterrement mais pour être présentes avec la famille, pour Ramzi avec lequel nous avons tous marché, tous les vendredi. On a mis le GPS, on a demandé à des jeunes sur place, on a vu le monde, les hommes debout, on s’est présentées aux femmes de la famille de Ramzi, en disant qu’on est venues pleurer avec elles, les soutenir et les assurer que justice sera faite. Leur dire qu’ils ne sont pas seuls. Simplement.
Alors oui, on « se mélange », toutes les classes et catégories sociales de ce pays, le vendredi, et c’est formidable, c’est beau, c’est rare mais ça ne suffit plus de « se mélanger », dans le « hirak ». J’ai l’impression que le vendredi il s’agit davantage de préserver une « image », celle de la Silmiya, de faire en sorte de limiter les dégâts, la casse. Ce mouvement en est capable et c’est une force, mais « limiter la casse » c’est aussi se tenir aux côtés des victimes de la violence policière, de la répression et de la profonde injustice, d’où qu’ils soient, et surtout au-delà du vendredi.
Je crois qu’il ne faut plus trop compter sur ceux et celles qui se font appeler « la société civile ». Parce qu’ils ne sont visiblement pas LÀ où ils devraient être. Ni au tribunal Abane Ramdane avec les 180 jeunes ou plus raflés, ni avec Benkhedda dont le portrait a été porté par les siens, mais dont on n’entend plus parler, ni avec Ghermoul, en prison depuis janvier, ni avec les proches de Ramzi Yettou aujourd’hui ou hier ou avant, toute la semaine quand il était dans le coma.
Il est temps que nous, citoyennes et citoyens, nous nous organisions, il est grand temps qu’on construise du collectif, et DU politique (et non pas DE LA) par la même occasion, en dehors des espaces « traditionnels », et en dehors de nos espaces virtuels, par des actes et des gestes.
Textes parus originellement sur les murs respectifs Facebook samedi 20 avril 2019. En vidéo, le témoignage de la tante du défunt Ramzi Yettou, Laabaziz (Blida) le 20 avril 2019