Second message de Nedjma, 11 avril 2019 Sissi? Vraiment?

Balayons le doute, la nervosité et le désenchantement, contemplons tout le chemin dors et déjà parcouru…

Ici et là, une sorte de panique gagne. La répression qui avait semblé disparaître réapparaît, les étudiants ont été sévèrement réprimés mardi 9 avril. Le nom de Sissi, l’hypothèse d’un « scénario à l’égyptienne est évoquée. Redoutée.
Alors, regardons-y de plus prêt pour tordre le cou à cette histoire de parallèle entre Ahmed Gaïd Salah et Abdel Fattah al-Sissi.

D’abord, il y a l’âge. L’un, l’égyptien, a 65 ans, ce n’est pas jeune, mais ça n’est pas vieux non plus. L’autre, l’algérien, en a 79. Doit-on s’appesantir plus longtemps sur cette différence?

Ensuite, si on compare le contexte, il est totalement différent. Ce qui est arrivé en Égypte, c’est ce qui nous est arrivé entre 1988 et 1992, à savoir un système qui s’effondre sous le poids d’une crise économique, des islamistes qui sont les seuls en position d’organiser la foule puis gagner des élections, et à l’arrivée une réaction du pouvoir avec l’assentiment d’une grande partie de la population face aux excès des islamistes. Abdel Fattah al-Sissi est en quelque sorte beaucoup plus proche de Khaled Nezzar (55 ans en 1992) ou de Mohamed Lamari (53 ans).

Dans un cas comme dans l’autre, les islamistes ont joué les règles du système, ils ont même dans le cas algérien négocié avec celui-ci (qui par là espérait les manipuler pour manipuler l’opinion), et dans les deux cas l’armée a pu se présenter comme un garde fou, garante des « acquis de la révolution ».

Et c’est vrai que le FIS inquiétait. Et c’est vrai que Morsi entendait modifier la constitution en sa faveur et limiter les libertés publiques, que les frères musulmans comme le FIS commençaient à quadriller les quartiers comme des milices fascistes. Sissi a été appelé par des pans entiers de la société comme les élections ont été interrompues avec l’aval d’une partie non négligeable de la population. On connaît la suite, l’armée s’est avérée féroce, elle a rogné les libertés chèrement acquises, n’a pas hésité à arrêter, emprisonner, torturer, assassiner dans le but de renforcer son contrôle sur la société et les richesses.
C’est une leçon chèrement apprise, et la prochaine fois, l’armée ne sera plus un recours.

Dans le cas algérien, justement, la leçon a été apprise. Les islamistes savent désormais qu’il leur faut négocier avec d’autres forces politiques, et cela est un acquis majeur. Ils ne font plus peur, ils sont considérés comme un courant politique parmi d’autres. Les autres opposants, eux, n’excluent plus les islamistes. Enfin, personne ne veut négocier ni avec les marionnettes du système, ni même avec Ahmed Gaïd Salah.
Le consensus dans la population est que l’armée appartient au peuple (et non l’inverse) et que son travail est d’aider la transition démocratique en défendant l’Algérie de toute ingérence étrangère. Pas moins, mais pas plus.

L’Algérie a donc trente ans d’avance sur les printemps arabe. C’est pour cela qu’aucune force d’opposition n’émerge ni même que les anciennes forces d’opposition ne parviennent pas à s’imposer. Nous sommes en train de voir émerger une coalition du peuple pour son émancipation d’un état illégitime, les anciennes forces politiques disparaissent et sont désormais sommées de se reconfigurer à partir des événements en cours pour renaître sur de nouvelles bases et avec de nouveaux acteurs et de nouvelles actrices.

C’est précisément ce qui avait fait défaut en 1988, et c’est ce qui a manqué en Égypte. Les marches, les différentes initiatives qui fleurissent de partout sont l’expression d’une réelle dynamique démocratique au sein du peuple dans son ensemble, et pas seulement au sein des classes moyennes. Voilà pourquoi chaque semaine on voit de nouveaux pans de la société émerger. On a d’abord eu les jeunes, puis les femmes, puis les patrons, puis les familles entières, et depuis la semaine dernière on a les anciens. Respect.

Il est important d’avoir un message optimiste, car ce qui est en cours est noble: le peuple algérien bâtit sa démocratie non pas en appelant un chef suprême, mais en exerçant son pouvoir chaque jour, chaque semaine un peu plus.
Et l’on peut ajouter que cette mobilisation a commencé d’une belle façon, non pas pour du pain, mais pour une dignité bafouée qu’il convenait de défendre.
On est donc très loin des revendications économiques égyptiennes ou même tunisiennes, d’une immolation comme en Tunisie, ou de 500 morts comme en 1988.

Nous devons donc apprendre la patience, la patience qui nous permettra de mettre le temps de notre côté.

Car finalement, ce que l’on constate au sommet, c’est la panique, celle d’un pouvoir déliquescent qui navigue à vue, un Gaid Salah qui lui-même improvise et, en réalité, concentre sur ses épaule tout le poids de ce que nous rejetons.
Il est vieux, il a cette attitude suffisante et méprisante des hautes classes compradores, et il est haï par des pans entiers de ce qui formait hier le système. Son coup de panique anti-Zeroual et anti-Toufik montre son isolement.

Nous sommes sur la bonne route. Et à travers le monde, la diaspora tient sa place, aide de son mieux et regarde ce qui se passe avec espoir et avec joie comme un possible avenir pour ce pays et pour chacun d’entre nous. Chacun progressivement occupe sa place.
Au delà du bonheur, on commence à avoir conscience qu’une fois ce système chassé, ce ne sera pas encore donné, et que ce ne sera pas facile, et qu’il y aura des décisions difficiles à prendre, mais nous savons toutes et tous qu’alors elles émaneront de nous, et que nous seront prêts à nous retrousser les manches.
Nous avons dors et déjà gagné la rue et le respect de soi, et nous devons défendre becs et ongles cette première victoire, nous gagneront bientôt un pays, et nous n’auront plus qu’à lui donner un avenir…

Alors, balayons le doute, la nervosité et le désenchantement qui pointent parce qu’ici et là la répression revient. Il n’y a en réalité aucune surprise à cela.
Et contemplons tout le chemin dors et déjà parcouru. Nous ne sommes pas l’Egypte ni même la Tunisie. Nous inventons notre propre pays. Il y aura des hauts, il y aura des bas, mais ça ira. Les premières fleurs sont écloses et ensemble, nous sommes la floraison.

yetnahaw ga3 – يتنحّاوڤاع – Dégagez-tous
Pour une Assemblée Constituante  – نريد مجلس تأسيسي

Tahiya El Djazair!

Nedjma

Illustration: Yacine Ninja Wear (Alger)

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