Message de Nedjma, 12 avril 2019: EXERCER NOTRE POUVOIR

Nous ne pouvons donc accepter le processus en cours qui n’a de fait aucune légitimité constitutionnelle, et nous ne pouvons donc encore moins accepter les hommes qui en ont la charge.

Chacun le sent bien, aujourd’hui, demain, les jours qui viennent vont confirmer que nous entrons dans une nouvelle étape.

Les craintes de ceux trop habitués aux ruses du système, la frilosité des modérés qui préfèreraient éviter l’affrontement, l’extrémisme des autres qui découvrent qu’un pouvoir peut effectivement se montrer coercitif, l’attentisme pour d’autres, et puis ailleurs la tentation de jouer la carte des élections du 4 juillet en refoulant la crainte d’une fraude et d’une remise en selle d’un pouvoir drapé de l’onction « démocratique », le monde entier fermant les yeux sur le bourrage des urnes – d’ailleurs cette « main de l’étranger » citée comme un vieux disque usé par Ahmed Gaïd Salah se révèle peu regardante pourvu que le pouvoir lui garantisse son approvisionnement en matière première.

D’ailleurs, de ce côté là, des essais atomiques à Reggane de 1962 à 1966 aux essais de bombes chimiques réalisés par la France dans le Sahara jusqu’en 1976, du tarif préférentiel sur le gaz au bradage de l’exploitation du pétrole ou à l’exploitation du pétrole de schiste dans le sud par Total, le tout moyennant quelque bakchich, le pouvoir algérien, toujours prompt à évoquer la « main étrangère », n’a jamais été avare en collusion avec les puissances étrangères, à commencer par l’ancienne puissance coloniale à qui il a toujours déroulé le tapis rouge pourvu qu’il puisse y exporter le fruit de sa rapine. On ne compte pas les appartements, les hôtels particuliers et autres résidences qu’ils y collectionnent, nos spécialistes en « menace de la main étrangère ».
C’est qu’ils la connaissent bien, cette main: ils y mangent, et s’ils le pouvaient, dans leur chute ils s’accrocheraient même à son bras.

L’argument de la « main étrangère » balayé, il nous reste à faire le point sur où nous en sommes et constater qu’Ahmed Gaïd Salah marque un point quand il évoque le risque de vacance du pouvoir en cas de sortie du cadre constitutionnel qui mettrait et l’état, et le pays en danger.
Pas tant que notre octogénaire généralissime ait « raison », mais il pointe là une faiblesse du hirak à laquelle nous sommes sommés de répondre rapidement désormais au risque de manquer à notre obligation de peuple souverain.

Alors, mettons tout sur la table et faisons le point

Il y a la question de Ahmed Gaïd Salah. Certains voudraient le voir partir tout de suite. Certes, mais reconnaissons qu’il sera certainement le dernier à partir, et si nous faisions les choses de manière solennelle, son départ devrait être un moment grave, accompli lors d’une cérémonie officielle où ce monsieur remettrait ses fonctions entre les mains du chef d’état major désigné par le nouveau pouvoir civil. Promettons-lui au moins cela, s’il daigne se mettre réellement au service du peuple, une sortie pour le moins honorifique qui réconciliera définitivement la nation avec elle-même.
Cette homme incarne plus que sa personne. Il est le dernier de sa génération en poste, il représente bien entendu toute la corruption qui a gangrené l’Algérie, tous les crimes commis par un quarteron de généraux et de politiciens, il n’en demeure pas moins un ancien moudjahidin. Avec son départ, c’est une page importante de notre histoire qui s’achèvera.
Alors au lieu de nous focaliser sur sa personne, utilisons le hirak pour exercer notre souveraineté, notre pouvoir, avec calme et détermination. Soyons le gouvernement de ce pays, et mettons Gaïd Salah à nos ordres, et réaffirmons qu’il n’a pas d’autre choix.

Je sais que cette proposition en choquera beaucoup qui voudraient le voir partir avec les autres, là, maintenant, mais c’est là où il y a une différence entre le désir, et la politique. Avec cet homme, nous touchons à plus qu’un homme, nous touchons à un système, au cœur même du système, et à une génération qui pense que l’Algérie est sa chose. Et nous touchons à un homme en qui une proportion non négligeable de la population fait encore confiance. Au risque de diviser le hirak, nous devons préférer respecter cette partie de la population et, plutôt que perdre notre énergie à le mettre en ligne de mire, nous devons jouer notre rôle et imposer notre propre tempo en nous faisant confiance. Il partira.

S’il s’avérait que ses intentions étaient réellement de protéger le hirak, nous ne tarderions pas à nous en apercevoir. S’il s’avérait qu’il n’était que l’agent ultime de la survie de ce système et de sa corruption, nous ne tarderions pas non plus à nous en apercevoir, et avec nous celles et ceux qui peuvent lui faire confiance.
En quelque sorte, il s’agit de mettre Ahmed Gaïd Salah devant ses responsabilité: ou bien partir tranquillement par la grande porte, ou bien se transmuer en un dictateur de 80 ans à la tête d’un état qui ne tardera pas à s’effondrer puis sombrer dans la guerre civile.
Car ne lui en déplaise: c’est aujourd’hui ce système qui est un danger pour l’unité nationale, et c’est le hirak qui en est le ciment.

Ne nous dispersons pour savoir qui doit partir et quand

Plus que jamais, nous désirons qu’ils partent tous, et ce que nous désirons par cela, c’est refonder le pacte politique qui nous unit, ce qui passe par une constituante.
Nous ne manifestons donc pas contre tel chiatiste ou tel bachibouzouk. Nous manifestons pour notre dignité et pour parachever la révolution initiée en 1954.

L’avènement d’une république réellement démocratique et véritablement sociale.

Il en découle que nous ne pouvons accepter le suffrage du 4 juillet. En se référant à la constitution, Gaïd Salah commet une erreur, et nous devons la lui rappeler: l’Algérie n’a plus de constitution.
Il serait bon que les juristes qui lisent cet article travaillent à énoncer la liste exhaustive des viols successifs de la constitution accomplis par un pouvoir corrompu auquel Ahmed Gaïd Salah a lui-même participé et dont voici quelques exemples parmi les plus récents.

En cadenassant le siège de l’APN le 15 octobre 2018 pour empêcher son président de s’y présenter, les députés ont de fait commis un acte anti-constitutionnel.
En faisant modifier la constitution en 2008 dans le but de se présenter pour un troisième mandat que la constitution lui refusait et en s’appliquant cette modification à lui-même, le président a commis un acte anti-constitutionnel.
En ayant empêché les rassemblements, les manifestations, en arrêtant les militants politiques et associatifs chaque fois qu’ils tentaient de protester publiquement malgré les articles 48 et 49 qui spécifient que « les libertés d’expression, d’association et de réunion sont garanties au citoyen » et que « la liberté de manifestation pacifique est garantie au citoyen dans le cadre de la loi qui fixe les modalités de son exercice », le pouvoir a commis un acte anti-constitutionnel.
En empêchant, à plusieurs reprises, des journalistes et des militants politiques de nationalité algérienne de se rendre où bon leur semblait sur le territoire voire en leur refusant l’accès au territoire sous le prétexte qu’ils n’avaient rien à y faire, le pouvoir a enfreint l’article 55 qui stipule que « tout citoyen jouissant de ses droits civils et politiques a le droit de choisir librement le lieu de sa résidence et de circuler sur le territoire national. Le droit d’entrée et de sortie du territoire national lui est garanti. » et ce faisant, a commis un acte anti-constitutionnel.
Enfin, et non des moindre, en autorisant monsieur Abdelazziz Bouteflika à se présenter en 2014 malgré sa condition physique, en le maintenant au pouvoir malgré la détérioration de sa condition voire en l’exhibant au vu et au sus du monde entier comme ce fut le cas lors des cérémonies du premier novembre 2018 et en allant jusqu’à le pousser à un cinquième mandat alors qu’il en était physiquement incapable depuis des années sans jamais avoir eu recours à l’article 102 aujourd’hui mis en oeuvre, le pouvoir a commis un acte anti-constitutionnel.

Les exemples ne manquent pas pour démontrer que l’Algérie n’a, de fait, pas de constitution, et que celle-ci ne s’applique qu’en fonction de la convenance du pouvoir, ledit pouvoir s’asseyant allègrement dessus le reste du temps.
Nous ne pouvons donc accepter le processus en cours qui n’a de fait aucune légitimité constitutionnelle, et nous ne pouvons donc encore moins accepter les hommes qui en ont la charge.

Nous demandons de fait et avec effet immédiat la démission d’Abdelkader Bensalah, de Noureddine Bedoui et de Tayeb Belaïz. Appartenant eux même aux réseaux de clientèle du pouvoir et ayant de fait participé aux fraudes électorales ainsi qu’aux viols successifs de la constitution qu’ils prétendent défendre, aucun d’entre eux ne peut être à même de mener à bien une élection transparente et honnête, encore moins une transition démocratique.

Mais, et c’est là où notre mouvement doit faire preuve de maturité. Nous devons maintenant dire avec qui et comment nous entendons voir mettre en route la transition. Nous devons être capables de sortir du lot trois personnalités dès maintenant qui, en triumvirat, assureront les prérogatives du pouvoir exécutif. Ce faisant, nous retireront à Gaid Salah l’argument de la faiblesse politique qui découlerait d’un processus de transition.

Pourquoi un triumvirat

Un triumvirat offre un avantage très net. Il permet de désigner des personnalités aux profils différents, garantie de pluralisme dans la transition, tout en permettant de préserver une réelle efficacité, les décisions importantes pouvant être prises plus rapidement qu’avec un conseil plus nombreux.
Ce trimvira nommerait un premier ministre qui aurait la charge de mener les consultations nécessaires en vue de former un gouvernement. Sur proposition du premier ministre et, quand cela serait rendu possible, après un délais de quelques mois, l’APN serait dissoute et une nouvelle APN serait élue en tant qu’assemblée nationale constituante. Ses membres pourraient notamment être désignés, tirés au sort ou élus, dans les comités locaux qui auraient eu le temps d’émerger.
Les modalités auraient été discutées et négociées par le triumvirat. Tous les débats sur le processus de transition seraient retransmis en direct sur une chaîne de télévision publique et mises en ligne sur YouTube. La presse serait invitée à multiplier les espaces de débat.
Ce trimvira aurait toute latitude pour nommer des personnalités dans le corps diplomatique, sur les chaines publiques et à la tête des entreprises nationales. Il aurait également toute latitude pour saisir la justice dans le cadre de la lutte contre la corruption. Il serait habilité, enfin, à suspendre des décrets et lois liberticides en garantissant l’exercice des libertés publiques. Il serait habilité à dissoudre la police politique. Il veillerait à l’indépendance et à la liberté des chaines publiques tout en mettant de l’ordre dans les chaînes privées. Il ouvrirait les ondes et reconnaitrait le statut de média à part entière aux plateformes internet. Ces décrets, conformes aux principes de la constitution en vigueur, devraient à terme faire l’objet d’une loi régulière.
Ce processus donnerait le temps pour qu’au niveau local et qu’au niveau des entreprises, des universités et des quartiers se mettent en place des comités de la transition ouverts à toutes et tous d’où pourrait émerger celles et ceux qui se porteraient candidats à l’assemblée constituante, selon les modalités choisies au niveau de chaque wilaya (tirage au sort, vote, panachage, etc).
Enfin, aucun des membres du triumvirat, ni le premier ministre ni même les membres du gouvernement de la transition ne seraient autorisés à se porter candidat à la première élection présidentielle. Cela est fondamental pour éviter que les guerres partisanes ne viennent miner la transition. Les membres de la constituante, quant à eux, n’auraient pas le droit de devenir candidats lors du premier scrutin de la nouvelle constitution.
La Constituante aurait une durée maximale de deux ans. A l’issue de cette période, un renouvellement des instances exécutives et législatives conformément à la nouvelle constitution pourrait être engagés.

Pour parvenir à cela, il faut désormais choisir qui seront les trois personnalités de ce triumvirat. C’est une tâche difficile et chacun a tenté de s’en prémunir jusqu’ici, mais la démission de Abdelazziz Bouteflika ainsi que la convocation d’un scrutin illégitime la rend urgente. Nous devons protéger le hirak de l’enlisement, un scénario sur lequel compte le système.

Le choix des personnalités doit reposer sur des critères simples

Un profil consensuel, une expérience des hautes fonctions, une probité reconnue et un âge qui le rapproche de la fin de carrière: la jeunesse aura tout le temps d’émerger dans la constituante ainsi que dans le gouvernement. Des noms sont souvent cités pour une instance de transition, mais n’oublions jamais que derrière ces noms qui circulent se cachent parfois des réseaux. Pour les neutraliser, il faudra donc que ces trois personnalités offrent des profils radicalement différents.

Notre pays recèle de nombreuses personnalités qui auront et l’honnêteté, et la capacité de mener à occuper le pouvoir pendant qu’à travers le pays la population sera amenée à discuter de ses institutions. Il devient urgent non seulement que ces personnages émergent, mais surtout, quels qu’ils soient, que nous scandions leurs noms en alternance avec l’exigence d’un départ de l’exécutif illégitime en place.

Il est temps de choisir

Ce qui fait la force du système, c’est notre incapacité à exercer le pouvoir et, pour ce faire, à construire la transition. Nous devons donc dès maintenant choisir exactement comme le ferait un chef d’état. Or, en l’absence de chef d’état, et conformément à toutes les règles constitutionnelles en cours depuis le 1er novembre 1954, NOUS sommes LE chef de l’état.
C’est un peu de notre innocence à laquelle nous devons renoncer, mais tel est le prix à payer pour définitivement entrer dans notre âge adulte. Choisir. Maintenant.

Alors, imposons notre rythme et notre agenda. Faisons émerger très rapidement les personnalités qui seront à même de garantir que le processus de transition sera démocratique. Et que leurs noms retentissent à travers tout le pays vendredi prochain.

yetnahaw ga3 – يتنحّاوڤاع – Dégagez-tous
Pour une Assemblée Constituante
نريد مجلس تأسيسي

Tahiya El Djazair

Nedjma

Illustration: El Moustach الموسطاش

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