« Système dégage », Sba7 oula la3chiya ?

Alger, vendredi 29 mars 2019, place Audin

L’autre victoire du Mouvement du 22 février, est d’avoir contraint pas à pas le système à oublier ses propositions folkloriques, anti-constitutionnelles et offensantes.

par Ghania Mouffok

(texte reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteure)

I

Ne pas lâcher, OK, mais pour quelles alternatives? Je ne comprends pas ce radicalisme sans autre perspective que de marcher en disant « système dégage » et « donne nous les clefs », ce n’est pas sérieux, infantile. La grave crise que traverse notre pays dans une grande complexité institutionnelle, politique et géopolitique sur fond de crise économique grave déjà à l’oeuvre exige mieux que cette fuite dans une radicalité qui ne se donne pas les moyens de s’organiser pour vaincre.

Si cette grave crise a mis à nu l’opacité, l’incurie, la folie de ce système prêt à tout pour durer, elle a aussi révélé la grave crise des oppositions virtuelles et réelles, les graves contentieux qui traversent la société. Des contentieux idéologiques, des intérêts contradictoires entre les possédants très possédants et les exclus d’un modèle économique ultra libéral, une guerre intérieure non réglée, le tout porteur de violences prêtes à s’exprimer.
La vraie question n’est pas de leur dire dégage et d’attendre de la tyrannie qu’elle organise la transition, mais de nous demander par quoi sommes nous capables de la remplacer, quel est notre projet collectif et individuel, comment transformer cette formidable énergie populaire en liberté de s’organiser, de parler librement dans des espaces visibles pour devenir les acteurs d’un véritable changement à travers de véritables forces capillaires qui partiraient des quartiers, des villes, des campagnes, des lieux de travail, des écoles pour changer les rapports d’obéissance et réinventer des nouvelles formes de rapports sociaux.

Prenons garde à ne pas ressembler à ceux que nous combattons et à devenir comme eux des obsédés du pouvoir par le haut, Présidence, Assemblées etc…, comme on se partage un gâteau déjà fort entamé. C’est cette vision de la politique depuis des décennies qui fait qu’aujourd’hui il n’y a pas une seule organisation alternative capable de diriger le changement, ni syndicat, ni parti, ni journaux. Pour moi, le véritable enjeu est de construire des alternatives citoyennes par le bas, par des organisations populaires, locales, qui étape par étape apprendraient à gouverner, à proposer, fabriquer des projets alternatifs à la destruction à l’oeuvre des rapports sociaux, des rapports à la nature et à la culture.
Ce mouvement extraordinaire est un mouvement culturel et politique porteur d’un formidable désir de vivre ensemble, il ne devrait pas se transformer en distribution de places entre sages et moins sages; son caractère massif, traversant toutes les couches sociales porteuses d’intérêts contradictoires, c’est notre seule richesse, notre seule force, et elle ne doit pas être mise au service des mêmes classes possédantes qui se disputent « le pouvoir » pour nous imposer, qui que soit X, un projet libéral destructeur et producteur d’insupportables inégalités.

Ce Mouvement du 22 février sera historique si nous en arrachons le droit de construire de la citoyenneté, de l’énergie collective pour tous les Algériennes et les Algériens et parmi eux surtout les exclus, les classes paupérisées auxquelles nous devons ce magnifique Mouvement, dans les libertés, et sans être menacés de châtiments, de justice aux ordres, de coups dans l’obscurité des commissariats, et de chaos.

Article 102 ?

Le destin de l’Algérie ne devrait pas se jouer entre les Tagarins et la Rue, deux entités opaques.
La dernière sortie du général Gaïd Salah est pour moi, une victoire du Mouvement populaire, et du concept de Sylmiya. Pourquoi ? D’abord parce que le pouvoir réel sort de l’ombre par la voix du chef d’état major et nous sort de la propagande mensongère à l’oeuvre depuis 20 ans qui nous expliquait qu’une fratrie toute puissante présiderait par la voix d’un président capricieux à la destinée d’un pays.
Ce mouvement organisé et quels que soient ses initiateurs, a dévoilé qu’en Algérie le pouvoir réel s’exprime par le chef des armées. Ce dévoilement devrait nous poser au moins une question : si la haute hiérarchie de l’armée est le problème, peut-elle être la solution ? Certains pensent que oui, en lui demandant d’organiser la transition. C’est là la contradiction fondamentale du « dégagez tous ».

L’autre victoire du Mouvement du 22 février, est d’avoir contraint pas à pas le système à oublier ses propositions folkloriques, anti-constitutionnelles et offensantes.
Première proposition : vous allez élire un homme agonisant pour une cinquième fois. Nous avons dit NON, massivement et nous avons gagné, personne ne nous imposera d’être insultés à ce point.
Deuxième proposition encore plus saugrenue et irresponsable que la première : OK, vous ne voterez pas pour lui, mais laissez-le diriger la transition, Conférence inclusive, nananinanère et grand n’importe quoi dirigé par un ministre de l’intérieur: nous avons dit NON et par la seule force de nos corps, du nombre et de la sylmiya nous venons de remporter une autre victoire : cette proposition est abandonnée, et retour à la Constitution avec l’article 102.

Le retour à la Constitution est un moment important, pourquoi ? Parce qu’aujourd’hui nous n’avons pas de président, pas de gouvernement, toutes les institutions sont en crise grave, tout est gelé, pétrifié, avec en prime une grave crise économique déjà à l’oeuvre, alors, il ne faut pas confondre l’Etat et le système, même si cet état a été mis au service d’intérêts privés. Il serait irresponsable que la chute du système se confonde avec la chute de l’état, sinon ce serait la jungle.
En retournant à la Constitution, le chef d’état- major et ceux qui l’accompagnent dans ce choix ont conscience de cet enjeu : ne pas défaire l’Etat algérien. Pour moi ceci devrait être un consensus stratégique et puissant de tous.

Ce qui ne nous empêche pas de dénoncer les menaces anxiogènes que portent dans le même temps le discours du chef d’état-major : OK pour ne pas défaire l’état, mais à condition qu’il ne menace pas de nous tirer dessus chaque fois que nous tentons de défendre notre citoyenneté interdite et humiliée, transformant ainsi l’armée populaire et nationale en une milice privée.
La responsabilité du système est ici entièrement engagée dans la grave crise que nous traversons et témoigne de son incompétence à continuer à diriger un pays de 40 millions d’habitants. En retournant à la Constitution, le système vient de déprivatiser symboliquement les solutions à construire. Les symboles sont importants.

En passant nous avons mis en crise tous les appareils du pouvoir, sa justice, ses partis, ses symboles et nous n’avons plus à la tête du gouvernement le Ouyahia honni, incarnation de la tyrannie arrogante. Nous avons gagné dans l’honneur le droit d’avoir des gouvernants qui nous respectent et ne nous prennent pas pour des objets de la politique mais pour des acteurs de l’avenir de notre pays.
Toutes les classes sociales, toutes les couches sociales sont sorties du Pacte du silence et cela aussi est un acquis. C’est donc avec ces acquis et dans l’urgence que doivent advenir d’autres rapports entre gouvernants et gouvernés, des rapports à inventer, à construire pas à pas, avec patience et dans le débat au pluriel, il y aura des victoires et des échecs, mais il y aura aussi une histoire à écrire, et elle ne s’écrit pas en un jour à moins de détruire le peu de ce qui nous reste et que nous avons appris à préserver grâce à l’infinie sagesse populaire.

Ce mouvement historique a pour moi deux missions

D’abord, sortir le peuple algérien de cette fatalité de régler ses crises dans la violence parce que ses élites, militaires et civiles, sont incapables de résoudre ses problèmes économiques et politiques sans jeter dans la bataille les corps des sans voix et des gens nus dont on flatte aujourd’hui la grandeur après les avoir abandonnés à des politiques économiques destructives.
Et aussi, construire un écosystème démocratique, apprendre ensemble à construire des citoyens et des citoyennes porteurs de droits et de devoirs et ce, quelles que soient leurs opinions, pour être claire, y compris s’ils sont islamistes, ou … Kamel Daoud.

Les attentes « du peuple » sont énormes, gare à tous ceux qui décevront les « ouled chaâb » car s’ils sont le sel de cette terre que nous partageons, ils peuvent aussi en devenir le feu.

Texte paru originellement sur Facebook mercredi 27 mars 2019

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