Silmiya! Silmiya!

Par Faiza Seddik Arkam

l Silmiya! Silmiya! 

(Faiza Seddik a publié ce texte sur sa page Facebook il y a quelques jours. Quand j’ai lu ce texte, j’ai pensé, wow. Elle a su exprimer l’ambiguïté des sentiments, cette joie mêlée à l’appréhension que je vois exprimée ici et là, née au cœur des années 90, cette peur mêlée de colère que le régime, qui en était responsable, s’est empressé de mettre sous le tapis pour reprendre son business as usual.
Je lui ai proposé de le mettre en ligne. Nous avons échangé, je lui ai donné mon sentiment et mes réserves.

Je suis optimiste, je suis enchanté par les événements, la jeunesse algérienne donne une leçon d’intelligence incroyable. Et j’ai découvert qu’en fait, Faiza l’était aussi, qu’elle voulait l’être. Il y a juste que tout ce moment, toute cette joie réveillent une lucidité particulière nourrie par l’expérience et par l’histoire même de notre pays.

Elle a remis la main à l’ouvrage, l’article s’est adouci. Certains seront critiques. Et c’est bien. C’est aussi cela la démocratie. Je les invite toutefois à lire en filigrane une conscience profonde des défis et des écueils qui ne manqueront pas de se présenter et au delà, peut être, un rappel obstiné à une vigilance qui protègera cette silmiya avec laquelle nous abattrons ce régime pour construire, le sourire aux lèvres, cette Algérie démocratique à laquelle nous aspirons toutes et tous. Bonne lecture. Madjid Ben Chikh)

Comment réactiver et cultiver la culture de la Non violence dans la lutte?

La société algérienne a tellement eu honte de l’image qu’elle donnait d’elle même -humiliée à plus d’un titre-, elle se haïssait, haïssait ses rues qu’elle polluait, défigurait ses paysages, la voilà qui s’apprête à reconquérir sa dignité et à se ré-approprier dans le même temps l’espace public, le pays, la preuve en est qu’elle en prend soin, et dans un esprit de corps se solidarise et s’unit de manière admirable pour dénoncer le système, dire Non à l’infamie comme pour renaître à la vie.
Alors dans cette mobilisation et cette ardeur collective, on y retrouve cette belle générosité, cet élan fraternel qui nous ont tant manqué, qui nous fait rêver et espérer que tout est possible si on prend notre destin en main. Une joie et une émotion terribles traversent toute la société, tous les enfants de ce pays où qu’ils soient.

Seulement… Un petit bémol à cet enthousiasme sur ce pacifisme.

Cette silmiya déclamée tellement mise en avant et qui prend des proportions un peu trop exagérées à mon avis, au vu du caractère parfois très « violent » de notre société, et qui peut secouer ses membres en temps de crise et de désarroi, au vu de son passé ancien et récent…

Cette silmiya devient un leitmotiv, une marche à suivre, un mot d’ordre comme pour exorciser une peur, de quelle peur donc s’agit-il?
Il n y a pas longtemps, malgré la paix retrouvée ces dernières années, le désir de vivre et de s’ouvrir au monde, on s’inquiétait de la délinquance et de la criminalité, de la destruction de la famille et de la perte des valeurs, de l’individualisme grandissant, du manque de solidarité, on disait que ce peuple devenait fou et perdait ses repères, on se demandait si le traumatisme de la décennie macabre n’avait pas laissé des traces indélébiles, et le voilà, comme par la magie d’une marche libératrice exemplaire, devenu le peuple le plus merveilleux, le plus civique du monde.

On aimerait tant y croire, que le déclic est arrivé !

Après tout dans notre histoire , on a eu des exemples de combats et de résistances menés avec cette forme de lutte non violente de tradition soufis, dans certains batailles menées par des chefs de guerres traditionnels (le cas de l’Emir Abdel Khader) contre le Joug Colonial.
Même si cela ne nous a pas été enseigné, ni véritablement inculqué, cette culture ancestrale est véhiculée dans la tradition et la sagesse populaire. Même Gandhi était proche de cette culture des Derviches soufis de L’Inde. Pour se référer à cela et offrir une assise profonde à cette manière de se battre, il aurait fallu chercher plus loin et prendre source de ce lointain et profond héritage.
Mais au risque de déplaire et d’être rabat joie, il y a en ce moment une telle schizophrénie ambiante, on glorifie notre pacifisme et notre civisme pour rétablir un peu l’estime de soi, afin de restaurer un narcissisme blessé, une dignité bafouée – peut-être est-ce un sursaut, un début de prise de conscience?
C’est certainement le cas, mais cela serait fou et illusoire de croire que le changement en profondeur peut se faire ainsi par miracle, tant la destruction programmée de l’ethos social et des valeurs fut lente et progressive.
Il y a dans cette liesse populaire, un désir manifeste aussi de se mettre en spectacle, afin de restaurer une image pour soi et au monde, une sorte de théâtre cathartique et thérapeutique.

Reprendre possession des lieux, défier et répondre ainsi à une profonde humiliation.
Pour pouvoir retrouver une vraie citoyenneté et se sentir enfin appartenir à ce pays longtemps confisqué, on est comme tous les peuples, avec le besoin d’avoir confiance en nos institutions, de recevoir une instruction, un savoir digne de ce nom, une économie juste et équitable, d’être considérés et respectés dans sa dignité, d’avoir des lois qui protègent et qui soient respectées.

Par-ci, par-là l’espoir fleurit, la vie bourgeonne…

Pour ce qui est de notre pacifisme qui serait « légendaire », tout comme notre coté subversif et révolutionnaire, avec tout l’héroïsme de nos Aïeux pour libérer ce pays, n’oublions pas les trahisons ignobles d’après la révolution, les luttes de pouvoir, les privations de libertés, les meurtres et autres règlements de compte qui ont décimé de dignes enfants du pays, tout cela enterré et caché au peuple au nom de slogans révolutionnaires dans une falsification de l’histoire.

Notre peuple se réveille de ses cendres, il est en marche vers un avenir prometteur.

Il y avait eu cet extraordinaire élan de liberté, les événements et les enfants sacrifiés d’octobre 88, un moment douloureux qui pourtant a permis l’émergence du multipartisme, la libération de la parole.

Un air de liberté avait soufflé, et à coté de ce tourbillon contestataire, de ce réveil de l’espoir, certains algériens, voulant en découdre avec un système qui avait manipulé la fibre religieuse, ont entraîné un grand nombre de citoyens aux pires atrocités, à des massacres d’innocents, à des viols et à la terreur dans une violence qui a sidéré et traumatisé notre société qui par là découvrait le côté sombre qui l’habitait.
Des violences entretenues, réactivées régulièrement dans des manipulations machiavéliques permettant à ce système de se maintenir en créant le chaos, et aux truands et voleurs de se remplir les poches. Ce pouvoir jouant au sauveur afin de créer ainsi une dette éternelle pour un mal qu’il avait pourtant orchestré et engendré.
Le prix payé par la société civile et les enfants du peuple engagés dans cette lutte contre cette terrible violence fut terrible. « Plus jamais cela » est le crédo, la promesse que s’est faite à elle-même l’ensemble de la société. La paix est une chose sacrée à préserver, alors menons le combat, mais avec Silmiya.

Mais quel sens a t-elle, quelle est son contenu?

Dans ce sursaut national et cette euphorie collective, certains individus, acteurs manifestes de la période noire et sanglante qu’a connue le pays, manifestent avec le reste de la société, se joignent à la contestation collective. Ridicules et pathétiques, ces individus ont même tenté le numéro de la victimisation. Ils comptent sur l’amnésie collective imposée et le déni pour avancer masqués et sournois afin de récupérer la colère.
Mais personne n’est dupe et la mémoire collective est un garde fou. L’imposture est aussi dans les discours partisans, « patriotiques », manipulateurs et mensongers.
La violence est là aussi, ailleurs, tapie dans l’ombre, cultivée, attisée depuis de longues années par des entités fascisantes qui veulent prendre la question identitaire en otage, essayant également de profiter du ras le bol général pour distiller la division et la haine.
Tout cela pendant que des citoyens révoltés par la hogra et le mépris qu’ils subissent mobilisent de façon pacifique et rêvent de fraternité, d’union et de dignité retrouvées.
Les masques tombent et seul reste l’espoir d’un jour nouveau, toutes les franges de la population sont sorties dans un magnifique air de liberté retrouvée, unitaire, défiant la peur, confiants et déterminés à aller vers un changement qui sonne comme une vrai renaissance.

Nous nous pensions mort et nous sommes vivants!

Silmiya! Silmiya! devenu un slogan ou un leitmotiv, est-ce la peur de sombrer dans la violence qu’à déjà connu le pays ?

Les ombres du passé ne veulent pas disparaître.
Une Algérie se meurt dans une autre en train de naître
L’Algérie s’anime et coule en nous comme un fleuve
Où des chiens s’abreuvent et laissent leurs odeurs

(Kateb Yacine)

Un souffle nouveau est arrivé.

Les jeunes dont on redoutait l’impulsivité et l’impatience ont fait preuve d’une grande maturité, conscients des enjeux et des dangers. Le mépris des dirigeants, provocateurs de Fitna et de désordre, a atteint son paroxysme. La patience est à bout. La révolte s’exprime dans un élan de vie, elle peut prendre des formes diverses au fil du temps et des événements.

Notre soutien doit être indéfectible.

Cette mascarade électorale a finalement contribué à une union du peuple dans un même élan libérateur, à le souder. En occupant la rue en masse dans une liesse émouvante qui rappelle les beaux moments de l’indépendance du pays, les algériens ont montré au monde leur attachement à la liberté, leur insoumission à l’injustice et au diktat de la peur.
Avoir conscience de l’importance vitale d’une unité, d’un état d’esprit fraternel et pacifiste pour avancer tous ensemble, sans division, parce que l’union fait la force et parce que le prédateurs qui dirigent ce monde guettent la moindre faille, que les intérêts cupides des puissants est de démolir tout éveil démocratique et maintenir les peuples sous leur domination économique en gardant en place leurs valets corrompus.
Pour cela, il faut pouvoir débattre de toutes ces questions avec lucidité et s’unir autour d’un vrai projet à construire, ne pas se contenter de dénoncer cette infamie qu’est ce cinquième mandat, car ce n’est qu’un détail « catalyseur » sans commune mesure au mal qui a été fait à ce pays.

Savoir canaliser cette révolte pour ne pas qu’elle devienne auto-destructrice si elle fait face au mur du mépris, et qu’elle soit fondatrice d’un ordre nouveau où la justice régnera.
Construire un projet de société nécessite des ruptures salutaires avec les vieux réflexes, de s’attaquer à la corruption généralisée, au mépris des compétences, à l’opportunisme ainsi que retrouver un rapport sain au travail et à l’effort.
Restituer la mémoire, rompre avec la politique du déni, condamner ce qu’il y a lieu de condamner avec fermeté, ne pas entretenir les ambiguïtés et les hypocrisies sur les horreurs du passé, sur les modes de gouvernance qui ont engendré un tel pourrissement. Transmettre aux nouvelles générations le sens de la justice, de l’égalité et du savoir, une jeunesse en quête d’avenir, curieuse et pleine d’espoir, qui a besoin de trouver des espaces d’expressions et de créativité.

La jeunesse s’est appropriée les réseaux sociaux avec courage et audace, devenus espaces subversifs, d’auto dérision, de mobilisation citoyennes et de conscientisation.
Or, hormis les réseaux sociaux, les espaces culturels traditionnels (théâtres, cinémas, lieux d’expression) étaient réservés, confinés à une élite improductive, castratrice, méprisante qui s’auto-désigne « porte-parole » de tout le peuple.
Cette pseudo élite qui dans sa division et son incapacité à réunir le peuple, faute d’ancrage, s’est montrée incapable de dialoguer dans le respect des différences d’opinions afin de proposer une feuille de route, d’opposer une vrai résistance, une contre-offensive unitaire, claire, sans ombrage et sans compromis.
Qu’a cela ne tienne le processus est en marche et ceux qui ont l’Algérie au cœur, ces esprits brillants longtemps écartés au profit des médiocres, longtemps exclus et qui n’ont pas cessé de réfléchir, de se battre pour la construction d’un avenir – et ils sont nombreux- viendront apporter leurs contributions.

Le peuple se révolte, s’indigne et exprime sa colère, il attend du renfort…

J’espère que naîtra au sein même de ce mouvement populaire un projet porteur et que, parmi les enfants de ce peuple, de cette jeunesse en action, porteuse de rêves, émergeront des individus intègres, des personnalités nouvelles sincères et dévouées soutenues par leurs aînés qui leurs transmettront des savoirs et des valeurs, afin qu’ils puissent trouver une issue et un chemin vers une société libre, égalitaire, juste et pleine d’espoir.

Faiza Seddik Arkam

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