Portrait de Juifs algériens: les Juifs de Laghouat

…un retour sur notre propre histoire, sur notre paradis perdu, sur un temps où notre destin était encore entre nos mains, avant que l’intrusion coloniale ne vienne nous en déposséder.

C’est un documentaire français « météore », comme on dit, de ceux dont on se demande comment ils ont été possibles. Peut-être ce contexte particulier des années 90, à l’époque du « processus d’Oslo », un moment où les langues ont pu commencer à se délier et sortir des fatras de mensonges et d’approximations sur les relations entre juifs et musulmans.

C’est un documentaire touchant et terriblement honnête aussi. Le portrait d’une famille juive d’Algérie dont les ancêtres sont venus du Portugal au 16ème siècle et qui se sont finalement installés en Algérie à Laghouat.

C’est un documentaire qui montre comment pendant des centaines d’années, bien avant même l’installation en Algérie de cette famille, le destin des Juifs et des Musulmans avait pu s’entremêler.

C’est un récit où l’on découvre que les Juifs pouvaient être « arabes », qu’ils s’exprimaient dans cette langue, qu’ils partageaient une partie de leur éducation avec les Musulmans, qu’autours d’eux les petits Musulmans pouvaient apprendre sur le judaïsme et que les petits Juifs apprenaient à lire en étudiant le Khur’an.

C’est le portrait d’un homme qui peut-être aujourd’hui est décédé (le documentaire date de 1997), emportant avec lui une histoire, un récit, et avant tout le souvenir de son grand-père.

C’est le portrait de ce grand-père qui malgré l’indigne décret Crémieux qui de fait le faisait français quand ses semblables musulmans se voyaient relégués au statut d’ « indigènes musulmans », jamais n’a quitté son attachement pour ses frères algériens. Un homme qui bien qu’intégré de fait à l’administration coloniale toujours se considèrera algérien avant tout.

C’est un récit qui fait ressurgir une mémoire fracassée par la colonisation, la guerre d’indépendance et le sionisme. Par la colonisation et sa politique raciale d’apartheid, séparant les Juifs et les Musulmans qui auparavant partageaient un destin commun. Par la guerre d’indépendance qui a conduit les Juifs à se replier sur eux-même en refusant un choix qu’ils ne voulaient pas faire, croyant se sauver en sauvant leur attachement à la république qu’ils considéraient être leur protectrice, ayant de fait oublié que par le passé, et notamment durant l’occupation, c’étaient les algériens, et non les français, qui les avaient protégés; on appelle cela l’acculturation. Et puis le sionisme, idéologie européenne et coloniale avant de devenir la politique de l’état s’en réclamant, Israel, s’immisçant dans les destins des communautés juives du monde musulman, trop heureux d’y voir une population nombreuse à même de venir peupler la colonie. La peur et la suspicion qui s’installent alors, et voilà les Juifs d’Algérie devenus les dindons d’une farce fantastique concoctée par d’autres et dont ils emportent avec eux les aigreurs et l’amertume d’une trahison dont jamais ils ne veulent réellement regarder les auteurs.

C’est le récit d’un déchirement qui est à peine effleuré mais que l’on devine. Et le récit en miroir, jamais exprimé, encore tabou, du déchirement de nos jeunes nations privées de ces hommes et ces femmes qui, par leur altérité religieuse, nous rendaient plus doux, plus ouverts, plus acceptant de cette diversité qui nous fait et dont il nous semble parfois avoir perdu les clefs.

C’est l’histoire d’une amnésie. Cette femme juive qui dans la dernière partie du documentaire découvre ce pan d’histoire familiale et cette réalité hallucinante, l’harmonie et la fraternité entre Juifs et Musulmans dans l’Algérie pré-coloniale. À travers sa voix, c’est notre propre ignorance qui s’exprime quand de nos jours tant de jeunes Musulmans et de jeunes Juifs ont la tête gavée des préjugés diffusés à longueur de programmes télévisés acquis à la défense d’Israel et de vidéos YouTube diffusant une espèce de bouillie tout aussi éloignée de la réalité qu’elle est facile à digérée en confortant, souvent en faisant mine de s’y opposer, la propagande israélienne d’une incompatibilité historique et religieuse entre Juifs et Musulmans.

C’est enfin, un retour sur notre propre histoire, sur notre paradis perdu, sur un temps où notre destin était encore entre nos mains, avant que l’intrusion coloniale ne vienne nous en déposséder.

C’est un documentaire qui trouve ainsi toute sa place sur Nedjma. Tout comme les Musulmans en général, les Algériens en particulier, se déshonorent en donnant dans les préjugés et la haine envers les Juifs au point de nous en avoir privés quand ils étaient une saveur indispensable à notre propre harmonie, les Juifs en général, les Juifs d’Algérie en particulier, perdent tout honneur et toute consistance dans ce qui fait leur propre histoire et se perdent eux-même quand ils cèdent aux sirènes d’un état colonial qui ne les a jamais utilisés que pour assoir sa politique de peuplement sans jamais reconnaitre ni leur culture, ni leur valeur car cet état, intrinsèquement, ne les a jamais regardés que comme des arabes vulgaire et sans culture tout justes bons pour le luxe tape à l’oeil et la cuisine trop épicée.

C’est ainsi notre propre naufrage commun que nous contemplons, et il ne saurait y avoir de polyphonie dans la nation algérienne qui ne se fasse l’échos dans son coeur du doux secret de retrouvailles au delà des déchirures.
Un magnifique documentaire comme, je n’en doute pas, nous n’en reverrons pas de sitôt tant il bouleverse les certitudes éditoriales.

(un article complémentaire sur le Blog de MOHAMMED HADJ AISSA au sujet des Juifs de Laghouat)

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